Le genre du barbecue

Photo et texte « piqués » sur Facebook vers le 1er septembre 2022. Je trouve cette contribution intelligente et amusante.

Patrice Gree

Je cherchais une connerie à dire sur Rousseau …En fait le texte de Clavreul dit tout et intelligemment.

1 – Que la consommation de viande soit genrée n’est vraiment pas un scoop. En réalité, tout acte de consommation est socialement construit ; c’est un peu la base des sciences sociales, en fait. Or une chose est d’enregistrer un constat, une toute autre consiste à porter un jugement de valeur, en l’occurrence dépréciatif et accusateur, sur un groupe en particulier. Il ne s’agit pas de poser un diagnostic – d’ailleurs sans aucune réflexion sur les causes – et de chercher la résolution d’un problème, mais de fabriquer un coupable.

2 – Le problème, pour autant, existe. Il est double : d’abord la consommation de viande a des effets sur la production de gaz à effet de serre, donc sur le réchauffement climatique ; ensuite la consommation excessive de produits carnés est néfaste pour la santé. Il est donc légitime et nécessaire de rechercher à maîtriser cette consommation.

3 – Etait-ce la bonne façon d’agir ? Evidemment non. Non parce que l’incrimination ne peut qu’entraîner des réactions d’hostilité, ce qui n’a pas manqué d’arriver – n’était-ce pas un peu fait pour, au demeurant ? Et non parce le rejet indiscriminé de la viande est absurde : d’une part parce que l’empreinte carbone et la toxicité varient considérablement d’une viande à l’autre ; d’autre part parce que la forme barbecue, qui serait le comble de la virilité toxique, ne constitue qu’une part résiduelle de sa consommation. Les viandes transformées, et notamment les charcuteries, devraient beaucoup plus inquiéter.

4 – Comme souvent avec le discours politique, ce qui est tu est au moins aussi signifiant que ce qui est dit. Or, que taisent Sandrine Rousseau et ses épigones ? Des vérités dérangeantes, qui ne cadrent pas du tout avec les théories qu’ils ont l’habitude de défendre. Ainsi, la consommation de viande n’est pas seulement fonction du genre, mais aussi des pratiques culturelles (schématiquement, l’ensemble des Amériques est très viandarde, l’Australie aussi et le Moyen-Orient dans une moindre mesure), de la classe sociale – mais en raison inverse de ce qu’elle était il y a un siècle – du lieu d’habitation – les urbains consomment moins de viande que les ruraux – du niveau de diplôme et…de l’origine, ou pour la statistique anglo-saxonne de la « race » ou de l’éthnicité. Et là, le schéma se complique singulièrement pour les fans habituels de l’intersectionnalité, puisque ce sont les Noirs et les Hispaniques qui sont les plus gros consommateurs de boeuf aux Etats-Unis. Et comme pour illustrer que les choses sont beaucoup moins simples dans la vraie vie que ne le prétend la doctrine rousseauïste, les femmes amérindiennes font exception à la règle puisqu’elles consomment plus de viande que leurs homologues masculins.

5 – Bref, si Sandrine Rousseau allait au bout de ses idées, elle ne blâmerait pas que les hommes, mais aussi les pauvres, les ruraux, les non-diplômés, une bonne partie de ce que les décoloniaux appellent le « sud global », et enfin les minorités ethniques. Pris en sens inverse, on comprend qu’elle définit comme une norme désirable les comportements du groupe social auquel elle appartient : femme, diplômée, urbaine, hauts revenus, issue du groupe que l’INED appelle pudiquement « majoritaire ».

6 – Tout ceci montre qu’il est absurde et même dangereux de vouloir à tout prix traiter les sujets sérieux – c’en est un, au double titre de la lutte contre le réchauffement et de la santé publique – par des simplifications hasardeuses, des postures moralisatrices et des anathèmes disqualifiants. Comme le rappelait avec son à propos habituel Emmanuel Maurel, il y a beaucoup de sujets à mettre sur la…table : politique de prévention, éducation du goût, aide à l’élevage raisonné, etc. Mais la stigmatisation qui révèle, plus que de la misandrie, un mépris de classe qui s’ignore à lui-même, cela ne peut qu’aboutir à ce que les groupes sociaux ainsi dénoncés cherchent à retourner le stigmate. Voilà une leçon de sociologie qui, décidément, n’a pas été apprise…