Vais-je rester à EELV ?

Illustration et article empruntés à Libé du 28 septembre 2022

EE-LV est en train de se dévorer

2 min•Thomas Legrand

Europe Ecologie-les Verts peut-il survivre ? Et même doit-il survivre ? La question, crue et provocatrice, se pose tant ce parti offre un spectacle effarant. Effarant, au moment où, enfin, les problématiques des écologistes, qui ont eu raison avant tout le monde, sont mises en débat dans toutes les sphères de la société. Au moment où l’on aurait besoin que ceux qui bénéficient de l’antériorité de l’analyse accompagnent la prise de conscience générale et même la mise en pratique concrète des solutions.

C’est à ce moment-là que EE-LV procède à une sorte d’opération d’anthropophagie. EE-LV est en train de se dévorer. Il est victime, de façon outrancière, d’une mécanique assez classique pour un mouvement d’avant-garde. Les écologistes ont été, depuis plusieurs décennies à la pointe de la modernité. Les Verts (avant EE-LV) ont été les premiers, à la fin des années 1990 à utiliser Internet, puis les réseaux sociaux. Ils sont les premiers à avoir instauré la parité. Ils ont promu le bio, se sont emparés de la question de la cause animale avant tout le monde. Ils ont été moqués, traités régulièrement de propagandistes déracinés des réalités sociales. En fait, ils sont simplement en avance.

Cannibalisme

Le temps qui passe leur donne raison. Depuis le premier d’entre eux, René Dumont. Sur le féminisme, puisque c’est sur cette question que le point cannibalisme sera sans doute atteint, les écologistes ont aussi été les premiers et les plus allants. La notion d’écoféminisme, théorisée, entre autres, par la philosophe Françoise d’Eaubonne qui établit un rapport entre la domination masculine inscrite dans nos sociétés et le productivisme destructeur, qui pointe un parallèle entre l’oppression des femmes et la surexploitation de la nature, est une pensée qui enrichit le débat et n’est pas dénuée de pertinence.

Mais voilà le gros de leur analyse sur le péril écologique – que ce soit pour la biodiversité ou pour le dérèglement climatique – est maintenant validé par les faits. Les écologistes ont gagné une victoire idéologique et, de ce fait, sur leur cœur de métier, ils ne sont plus à la pointe. Ils ne sont plus avant-gardistes. «Tant mieux», devraient-ils se dire. «Soyons les gardiens scrupuleux de la cause écologiste», devraient-ils penser. C’est d’ailleurs dans cet état d’esprit que la plupart des écologistes sont en ce moment : soulagés que la prise de conscience soit quasi générale et impatients que les solutions soient, en conséquence, mises en place avec la promptitude qui convient.

Excitation des pionniers

Mais d’autres écolos, semblent, en réalité, souffrir de ne plus être à la pointe, d’avoir perdu, par cette prise de conscience générale, le statut d’avant-gardiste. Ils ne supportent pas de devenir mainstream. Alors, sur un aspect de la question, pas forcément d’ailleurs la plus directement liée à l’écologie, ils se montrent jusqu’auboutistes, intransigeants, dogmatiques, ils procèdent par excommunications.

Nous vivons, sur la question du féminisme une rupture anthropologique. Un événement considérable dont la finalité est de rééquilibrer les rapports entre les deux parties de l’humanité : hommes et femmes. C’est dans ce mouvement, pour lequel les écologistes sont encore à l’avant-garde, pas encore rattrapés par la société, que certains retrouvent l’excitation des pionniers. Ils semblent s’y complaire en dénonçant, à l’intérieur du mouvement, ceux qui pourraient, par leur attitude supposée, trahir l’avant-gardisme. Le sort imposé à Julien Bayou sans que personne ne puisse rien expliquer de ce qui lui est reproché est l’une de ces manifestations.

La partie des écologistes qui ne supporte pas que l’écologie devienne la cause de tous, et plus seulement d’eux-mêmes, détruisent, sans certitudes d’avoir raison sur le fond, l’appareil écologiste en le décapitant. Personne ne sait exactement ce qui est reproché à Julien Bayou. Mais certains, pour pouvoir rester à la pointe du combat et préférant la pointe au combat, assument, comme Sartre quand il se trompait, que, pour la cause, «il y a des moments où on a raison d’avoir tort». Un parti dominé par cet état d’esprit peut-il survivre ? Doit-il survivre ?